L’histoire de la Brouwerij 3 Fonteinen n’a rien d’une ligne droite — on peut même dire qu’elle aura été plus sinueuse que la Senne. Si l’avenir de la brasserie a été remis en jeu à maintes reprises, c’est grâce à de fins esprits aux caractères bien trempés que ces traditions ont pu perdurer pour arriver jusqu’à nous.
1882 - 1953 | Dans les brumes de l’histoire.
Pour de nombreux brasseurs de lambics et assembleurs de gueuzes, les débuts de leur propre histoire restent entourés d’une part de mystère. La Brouwerij 3 Fonteinen ne fait pas exception à la règle. Les premières traces de sa fondation remontent à 1882, lorsque Jacobus Vanderlinden et sa femme Joanna Brillens ouvrent une auberge à Beersel, commune du Brabant Flamand, à l’adresse actuelle 13, Hoogstraat.
Le nom 3 Fonteinen fait probablement référence aux trois pompes manuelles en porcelaine d’où s’écoulaient le lambic, le faro et la kriek, mais ce n’est pas tout à fait certain. De récentes recherches évoquent la vallée située derrière la brasserie, où à l’époque jaillissaient trois sources — également appelées 'fonteinen'. Une troisième explication est à trouver dans la mythologie: de nombreux lieux anciens sont nommés d’après trois sources, comme l’abbaye Tre Fontane en Italie, par exemple.
Mieux connu sous le nom de Tisjke Potter, poursuit l’activité de ses parents. À partir de 1947, il s’engage dans la politique locale et devient même bourgmestre de Beersel en 1953. Faute de successeur dans la famille, il cherche donc un repreneur pour l’auberge ‘In de 3 Fonteinen’.
1953 - 1982 | La popularité grandissante de ‘De 3 Fonteinen’.
Nous sommes en 1953. Après quelques hésitations, Gaston Debelder et son épouse Raymonde Dedoncker font le grand saut: la ferme étant devenue trop petite pour contenir toute leur famille, ils troquent leur métier d’agriculteurs à Herfelingen pour une nouvelle vie à Beersel. C’est donc eux qui reprennent l’auberge et la gueuzerie de Tisjke Potter. Comme le nom 'In de 3 Fonteinen' était déjà accroché sur la façade, ils décident simplement de l’y laisser.
Il faut maintenant que Gaston maîtrise rapidement le noble métier d’assembleur (ou coupeur) de gueuze. Difficile pour quelqu’un qui a plutôt l’habitude de travailler la terre ? Pas forcément, car le lambic coule déjà dans ses veines: son oncle Arthur Debelder était un assembleur réputé du 19e siècle. Sans oublier que le fossé qui sépare les métiers d’agriculteur et d’assembleur de gueuze était bien moins profond à l’époque qu’aujourd’hui. Ces deux artisanats étaient intimement liés au rendement de la terre et de nombreux agriculteurs brassaient déjà eux-mêmes pendant les mois d’hiver.
Le fossé qui sépare les métiers d’agriculteur et d’assembleur de gueuze était bien moins profond à l’époque qu’aujourd’hui.
Neuf ans plus tard, en 1961, les Debelder achètent un bâtiment sur la place de l’église de Beersel et démolissent les lieux afin de construire un nouveau café-restaurant. Le nom 3 Fonteinen déménage avec eux et Gaston et Raymonde peuvent désormais adopter une approche plus ambitieuse. De plus en plus motivé par la gueuze, Gaston creuse à lui seul de nouveaux caveaux sous son café. L’endroit idéal pour laisser la gueuze fermenter et vieillir tranquillement pendant quelques années.
Le café jouit d’une forte popularité dans les années 1960 et 1970. En témoigne le club 'De Mijol', fondé par Herman Teirlinck. L’écrivain, artiste et homo universalis parvient à y réunir la crème des littéraires, artistes, hommes politiques et brillants penseurs flamands de l’époque. Des gens comme Gerard Walschap, Maurice Roelants, Ernest Claes et Marc Galle passent de longues heures au bistrot à jouer au 'mijol box': une variante du jeu de palets où des disques métalliques sont propulsés vers un trou central.
Herman Teirlinck réunit une belle brochette d’écrivains, d’artistes, de politiciens et de penseurs flamands au café 3 Fonteinen. La gueuze est au centre des conversations, au propre comme au figuré.
Si la gueuze coule à flots entre deux discussions politiques enflammées, elle est également au centre des conversations — Herman Teirlinck connaissait en effet parfaitement l’histoire des bières régionales. On ne saurait trop insister sur l’influence qu’il a exercée sur Gaston et Armand Debelder, ce dernier n’étant encore qu’un bambin à l’époque. Le 3 Fonteinen est également devenu le lieu de rendez-vous de nombreuses familles bruxelloises. On les voyait envahir la place du village le week-end pour y déguster une tartine au pottekeis (un fromage fort de la région) accompagnée d’une bonne gueuze.
1982 - 1997 | Armand prend la tête de l’entreprise.
Après des années de prospérité, Gaston et Raymonde lèguent l’affaire à leurs deux fils. Armand, derrière les fourneaux depuis son adolescence, s’occupe de la cuisine et de la gueuzerie. Il devient chef de cuisine en 1974. Âgé de 24 ans, il enrichit la carte de plats régionaux à base de lambic, de faro et de gueuze, sa véritable passion ayant toujours été la bière, loin devant la cuisine. Le jeune homme a hérité du nez, des connaissances et de l’expérience de son père.
Dans les années 1980 et 1990, le restaurant rencontre un énorme succès. Tous ceux qui l’ont fréquenté se souviennent de ces mois d’été où plus de mille kilos de frites s’écoulaient en une semaine et où des casseroles de dix kilos de moules mijotaient en continu sur le feu. Pendant ce temps, la gueuze maison continue de descendre dans les gosiers, sans se douter qu’un sérieux défi se profile à l’horizon: vers 1990, la consommation de gueuze atteint son niveau le plus bas...
Tout le monde se souvient de ces étés où l’on écoulait plus de mille kilos de frites par semaine où dix kilos de moules mijotaient en continu sur le feu.
Cette tendance à la baisse s’inscrit dans un contexte plus large: un profond changement dans les habitudes des consommateurs qui se tournent depuis quelques décennies déjà vers les blondes bon marché, les bières aux fruits très sucrées et le vin. La question d’abandonner l’assemblage de la gueuze est donc fortement envisagée. L’authenticité qu’Armand mettait dans l’exercice de son métier exigeait non seulement beaucoup de temps, mais également d’argent. Il faut savoir que la production de gueuze doit être financée plus de quatre ans à l’avance, y compris l’achat des fûts, sans oublier qu’une fois en bouteille, sa fermentation demande encore pas mal de patience.
En 1993, les Objectieve Bierproevers (ou 'testeurs objectifs de bière') décernent leur trophée annuel afin de récompenser toute personne méritante dans l’univers de la brasserie belge. Les grands gagnants sont les coupeurs de gueuze authentique restants, à savoir 3 Fonteinen, Hanssens et Moriau. C’est cette reconnaissance qui conforte Armand dans sa conviction: le lambic et la gueuze ont encore un avenir. “Lambik, dat is bé van hé.” : le lambic, c’est la bière d’ici. Et c’est la nôtre. La bière lambic est intimement liée à notre terroir, et il est hors de question qu’un tel patrimoine local disparaisse
1997 - 2009 | Armand Debelder poursuit obstinément ses activités de brasseur et d’assembleur.
Il n’est certes pas facile de croire en l’avenir du lambic lorsque votre propre père, témoin du déclin rapide de la consommation de gueuze, vous déclare ouvertement que vous êtes fou. “Guis, da es allien nog voe d’aa peikes”, tels sont les mots exacts qu’Armand entend sortir de la bouche de son père. Autrement dit, ”personne ne s’intéresse à la gueuze, sauf les vieux schnocks”. Heureusement, Armand n’a pas seulement hérité du nez de son paternel — père et fils partagent la même obstination. Il se lance résolument dans le lambic et la gueuze, et commence à brasser lui-même dès 1998.
Gaston Debelder déclare que son propre fils est fou. Heureusement, Armand a hérité de l’obstination de son père.
En décembre 1998, dans la petite salle de brassage de la Hoogstraat (encore utilisée aujourd’hui), Armand verse le premier moût dans le bac de refroidissement. La ”brasserie” 3 Fonteinen s’ancre alors dans la réalité et devient officielle en 2001, lorsqu’Armand fonde l’AD Bieren, aujourd’hui la Brouwerij 3 Fonteinen. Les années qui suivent prouvent qu’il a vu juste. L’attention locale, régionale, nationale et internationale portée à la culture du lambic et à la gueuze s’intensifie. Des touristes du monde entier sillonnent Bruxelles, la vallée de la Senne et le Pajottenland sur les traces de cette bière unique.
Entre-temps, la Brouwerij 3 Fonteinen connaît une croissance constante et l’entreprise est financièrement stable dès 2008. À cette époque, la production annuelle en bouteille avoisine les 800 hectolitres. Il faut acheter et stocker un nombre de plus en plus important de pipes (des plus petits fûts), de fûts et de foudres (d’immenses fûts). Les fûts de chêne sont désormais répartis sur quatre sites différents, dont deux à Beersel et deux à Essenbeek, près de Halle. Tout semble donc aller pour le mieux pour la Brouwerij 3 Fonteinen, du moins jusqu’à la nuit du 15 au 16 mai 2009...
2009 - 2016 | La catastrophe du thermostat, puis la reprise.
Le samedi 16 mai 2009 au matin, Armand ouvre la porte de l’entrepôt de Halle. Une vague de chaleur le fait littéralement reculer. Craignant le pire, il entre en trombe dans la chambre chaude. Cet espace, rempli de bouteilles en fermentation et en maturation, est normalement maintenu à une température constante de 18 °C, contrôlée par un thermostat. À la suite d’un dysfonctionnement, la température a grimpé jusqu’à 60 °C. À ce moment-là, 13.000 bouteilles ont déjà explosé sous l’effet de la pression, et Armand peut encore entendre les bouteilles éclater les unes après les autres. La pièce est devenue une véritable zone de guerre.
Cloué au sol par le choc, Armand ne pense qu’à une chose: ”Nous sommes en faillite”. Il faut savoir que la chambre chaude contient un an de stock vendable, ce qui signifie aussi la totalité des recettes annuelles. Mais c’était sans compter sur la fiancée d’Armand, qui, avec l’aide d’une poignée de passionnés, remet tout le monde sur pied — Armand et la brasserie. Des brasseurs avenants donnent un coup de pouce en proposant des paiements différés et un brasseur américain fait même don d’une partie des recettes de la vente d’un brassin spécial. (source)
La pièce est une zone de guerre dans laquelle Armand peut encore entendre les bouteilles éclater les unes après les autres. Cloué au sol par le choc, il ne pense qu’à une chose: ”Nous sommes en faillite”.
À cette époque, Armand suit un cours de distillerie à Elisehout. Son professeur technique lui propose alors une idée folle: distiller la gueuze. Après quelques essais, l’expérience semble concluante. La bière s’est oxydée, mais l’arôme est toujours bien présent et le distillat savoureux. Deux week-ends après la catastrophe, une centaine de bénévoles aident à vider 65.000 bouteilles de gueuze pour servir de base à l’Armand'Spirit, une eau-de-vie fine à base de gueuze, distillée par la Distillerie de Biercée.
Armand possède encore des lambics maison brassés dans des fûts de chêne, destinés à être coupés pour les futurs assemblages. Sur les conseils d’amis américains, il crée un assemblage spécial composé exclusivement de ces lambics 3 Fonteinen. Cette série unique d’assemblages entrera dans l’histoire sous le nom Armand'4: Printemps, Été, Automne et Hiver. Les gueuzes sont commercialisées dans de magnifiques bouteilles et les ventes dépassent ses rêves les plus fous.
En 2011, Armand vend son installation de brassage et injecte une grande partie de ses fonds propres dans l’entreprise. Le soutien de ses amis, de sa famille et de ses fans, associé aux recettes des ventes d’Armand'Spirit et d’Armand'4, génère un flux de trésorerie tout juste suffisant pour permettre à la Brouwerij 3 Fonteinen de survivre. Il n’y a plus qu’un seul objectif: avancer.
La tête à peine hors de l’eau, mais plus motivé que jamais, Armand se met à la recherche d’un nouvel assistant de production. Il voit en Michaël Blancquaert, alors âgé de 26 ans, une version plus jeune de lui-même: animé par le processus artisanal, passionné par la tradition et désireux d’apprendre. Un jeune homme au nez fin, pour qui la qualité est le seul et unique critère.
Armand voit en Michael une version plus jeune de lui-même: animé par le processus artisanal, passionné par la tradition et désireux d’apprendre. Quelqu’un pour qui la qualité est le seul et unique critère.
Il ne faut pas longtemps à Armand et Mich pour exprimer le désir commun de recommencer à brasser. En 2012, ils mettent en place une petite installation de brassage, conçue sur mesure pour les locaux de la Hoogstraat, avec un bac de refroidissement d’une capacité nette de 3 000 litres. Les voilà à nouveau sur les rails. Mais la dispersion des activités reste un problème. Avec pas moins de quatre adresses différentes, le transport du lambic et des bouteilles finies entre les différents sites est devenu un cauchemar logistique, qui coûte à l’entreprise 200 journées de travail par an. Un nouveau projet commence alors à émerger: celui de centraliser toutes les activités, à l’exception du brassage à proprement parler.
Par un samedi matin ensoleillé de 2013, Michaël et Armand discutent avec quelques initiés de ces projets d’avenir. C’est alors que Werner Van Obberghen entre dans le magasin pour acheter son bac de Geuzes. Onze ans plus tôt, l’homme a écrit sa thèse sur les problèmes rencontrés par les petits coupeurs de gueuze artisanale et il connaissait déjà Michaël d’une formation de brassage. Bien que les deux hommes ne soient pas étrangers l’un à l’autre, Werner se sent honoré lorsqu’Armand le fait venir dans l’arrière-boutique pour lui exposer ses idées.
Werner propose spontanément de rédiger un business plan pour la prochaine étape. Armand n’a jamais eu d’atomes crochus avec les chiffres — pour lui, seul compte le nombre de litres dans les fûts à déclarer pour les accises. À ce moment-là, la Brouwerij 3 Fonteinen est encore largement déficitaire, ce qui est d’ailleurs le cas depuis le début de son existence. Chaque année, Armand y investit ses propres économies. Le défi à relever n’est donc pas des moindres: assainir financièrement l’entreprise, rédiger et planifier une vision d’avenir et convaincre les banques. Au final, le plus lent des métiers de la bière doit pour la première fois s’inscrire dans une perspective financière.
Pour la première fois, le plus lent des métiers de la bière doit s’inscrire dans une perspective financière. Un défi qui n’est pas des moindres.
Michaël et Werner y consacrent tous les samedis et dimanches qui suivent. C’est au cours de ces longues séances que les deux hommes se lient d’amitié et jettent les bases de la succession dont Armand Debelder rêvait depuis si longtemps. Lorsqu’il voit les deux hommes se creuser la tête et pianoter sur l’ordinateur portable dans la petite cuisine à l’arrière du magasin de Beersel, il dira d’un air désinvolte: ”J’aime beaucoup ce que je vois là”. Cette phrase restera à jamais gravée dans la mémoire de ses deux nouveaux associés.
En 2015, ils trouvent enfin l’emplacement idéal, situé sur la Molenstraat dans le village voisin de Lot. Un grand espace, sec, avec des sols solides, suffisamment résistants pour supporter les fûts de lambic et tout le stock de bouteilles. Et tout ça à quelques dizaines de mètres de la Senne. Le rêve d’un lieu unique pour accueillir toute la Brouwerij 3 Fonteinen peut enfin se concrétiser.
2016 - ... | De nouveaux chapitres. Et une page qui se tournet.
Six mille mètres carrés. C’est l’espace qui est soudainement à leur disposition. Lorsqu’ils traversent pour la première fois les grandes salles de l’ancien entrepôt, Armand, Mich et Werner ont du mal à en croire leurs yeux. Ils se rendent bien compte qu’un tel espace signifie aussi qu’ils pourront enfin prendre leur temps. Tout le processus de brassage des 3 Fonteinen repose sur la lenteur et la patience: pour le lambic vieilli en fût, pour la macération des fruits, pour la gueuze fermentée en bouteille. Maintenant, il y a enfin assez de place pour privilégier cette lenteur. Ou, comme l’a dit Armand, ”Geft ne lambikbrààver of ne guizestèker plosj, en ze legge voete” (”Donnez de l’espace à un brasseur de lambic ou à un assembleur de gueuze, et les fûts vont rouler”)
Le chai de fûts, les lignes d’embouteillage et d’étiquetage, la chambre chaude et l’administration sont désormais réunis sous un seul et même toit. Seule la brasserie à proprement parler reste dans le centre du village de Beersel, car cet endroit est situé à une altitude plus élevée, ce qui entraîne une dynamique météorologique nocturne différente. Ce n’est qu’en 2020 qu’on fera rouler le dernier fût jusqu’à Lot: comme les fûts de lambic remplis ne peuvent absolument pas être déplacés, il a fallu attendre qu’ils soient tous vides et rincés, prêts pour la prochaine tournée.
Armand le résume souvent lors de ses visites: ”Notre père pourrait entrer ici aujourd’hui et continuer à faire ce qu’il faisait à l’époque”.
Dès lors, la capacité du chai de fûts n’a cessé de croître, avec une règle d’or: maintenir un bon équilibre entre jeunes et vieux lambics. Si les visiteurs peuvent être impressionnés par une telle quantité de fûts de chêne, le processus n’a pas changé. Armand le résume souvent comme ceci lors des visites: ”Notre père pourrait entrer ici aujourd’hui et continuer à faire ce qu’il faisait à l’époque.”
Des dizaines de variétés de blé et d’orge. Un processus de brassage manuel. Un refroidissement entièrement naturel dans un bac de refroidissement. Une fermentation et un vieillissement spontanés en fûts de chêne et en foudres. Jamais à la pression, toujours en bouteille. Pas d’ajouts artificiels. Un processus 100 % naturel comme celui-là n’est pas une mince affaire, même dans le monde du lambic d’aujourd’hui. Mais respecter la tradition ne signifie pas délaisser l’expérimentation, que du contraire. Entre 2015 et 2020, l’équipe passera à 20 personnes et 3 Fonteinen fera souffler un vent de fraîcheur sur la vallée de la Senne.
Afin de faire des essais dans la brasserie et des expériences en fût, on s’amuse avec de vieux fûts de vin et de xérès et on apporte de nouvelles variétés de fruits. Toutes ces expérimentations sont regroupées sous un même nom ”Speling van het Lot” (”Les Hasards du Destin”). Le principe est assez simple: essayer, et essayer encore. Si le résultat est bon, on le commercialise. Si pas, on l’oublie. Le lambik-O-droom, petit protégé d’Armand, renaît également de ses cendres: un lieu de rencontre, une boutique et une salle de dégustation qui attire à la fois les habitants de la région et les amateurs de bières belges du monde entier.
Le concept de ”terroir” signifie impliquer les arboriculteurs, les agriculteurs, les artisans, les passionnés et même les gens du coin.
L’ambition, quant à elle, dépasse les murs de la brasserie. 3 Fonteinen veut contribuer à faire revivre notre terroir. Comment ? En impliquant les arboriculteurs, les agriculteurs, les artisans, les passionnés et même les gens du coin. Parce que toutes ces personnes font partie intégrante d’une même histoire, d’une même tradition, d’une même culture.
Le premier exemple de cette approche organisée est presque accidentel: tout commence par un appel pour des griottes de Schaerbeek. Si ces petites cerises ont peu de valeur commerciale dans les supermarchés, elles sont idéales pour fabriquer une kriek typique. La réponse est massive: en plus des quelques familles qui apportaient déjà leur récolte depuis des années, une vingtaine de nouvelles familles se manifestent soudainement. Actuellement, on en compte plus d’une centaine. Le Centre d’Enrichissement Botanique, spécialisé dans les variétés fruitières anciennes, participe désormais à un programme de multiplication dans l’espoir d’atteindre plus de 2 000 arbres dans une dizaine d’années. Cela permettrait alors de n’utiliser que des cerises locales. D’ici là, tous les autres fruits proviennent directement d’agriculteurs biologiques.
D’autres collaborations de ce type ont suivi: avec un potier (pour les jarres de lambic), avec une vannière (pour les paniers verseurs en saule), avec un souffleur de verre (pour les vrais verres à gueuze d’antan) et avec une entreprise d’émail (pour les enseignes traditionnelles).
Mais le projet le plus important concerne les céréales. Nos anciennes variétés d’orge et de blé ont été complètement supplantées par l’agriculture industrielle, et y remédier nécessite tout un réseau d’agriculteurs biologiques et d’acheteurs engagés. Un vieux rêve d’Armand, qui est aujourd’hui devenu réalité avec Le Réseau Céréales, enrichi de quelques houblons.
Le destin n’en a cependant pas fini avec Armand. Au printemps 2019, deux bonnes années après sa retraite officielle, une terrible nouvelle le frappe de plein fouet. Son médecin lui annonce qu’il est atteint d’un cancer métastasé. Devant la lourdeur du traitement à venir, il décide de céder ses parts dans la brasserie, “pour ne pas compromettre l’avenir de 3 Fonteinen, s’il devait m’arriver quelque chose demain“.
Malgré une volonté acharnée, il se retrouve à l’hôpital à l’été 2019, complètement épuisé. Dès lors, Opa Geuze (Papy Gueuze), comme l’appellent les jeunes de l’équipe, passera moins de temps à la brasserie qu’il ne l’aurait souhaité. La pandémie de COVID au printemps 2020 rendra les choses encore plus difficiles. Pourtant, toutes les occasions sont bonnes pour qu’Armand vienne faire ses tours à Lot.
Jusqu’à ce qu’il ne puisse plus. Le dimanche 6 mars 2022, peu après minuit, le Pater familias de la brasserie et de la gueuzerie, considéré comme un deuxième père par ses successeurs, s’éteint. Armand Debelder n’est plus.
Cet homme ambitieux aura passé sa vie à façonner le cours de 3 Fonteinen, y mettant cœur et âme. Et ces dernières années, il aura également contribué à lui assurer un long et bel avenir. Concernant la bière bien sûr, mais aussi l’esprit, les valeurs et le caractère de l’entreprise. De nouveaux chapitres de l’histoire de la Brouwerij 3 Fonteinen vont-ils encore s’écrire? C’est certain. Et cette histoire appartiendra toujours un peu à Armand.