Servir du lambic est tout un art. Il y a des règles bien précises à respecter, qui sont heureusement accompagnées d’outils adaptés. Comme le panier verseur, qui maintient la bouteille à l’horizontale afin que la lie reste là où elle doit être : tout au fond. Les paniers utilisés pour verser le lambic 3 Fonteinen sont tressés à la main dans l’atelier de Gerda Legrand, avec uniquement de jeunes brins de saule et beaucoup, beaucoup d’amour.
Lorsqu’elle parle de saule, Gerda s’emballe. Elle convoque même les Grecs et les Romains. “Ils croisaient déjà les variétés afin d’obtenir l’osier parfait pour le tressage. Ils les plantaient en rangées, les uns à la suite des autres, avec des tuteurs ancrés dans la terre.“ C’est encore ainsi que l’on procède aujourd’hui avec les jeunes pousses de saule. Au bout d’un an, elles sont fauchées puis séchées avant d’être transformées avec dextérité en paniers
Gerda sait que les saules têtards ne sont pas faits pour le tissage, que l’arbre parfait n’a pas de branches latérales et qu’il existe plus de 500 espèces de saules. ”L’osier est originaire de Belgique”, poursuit-elle. ”Il pousse là où il y a de l’eau, comme le long de l’Escaut.” Mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, les producteurs d’osier belge ont pratiquement disparu. ”Il reste un producteur dans notre pays, mais il exporte toutes ses pousses, principalement au Japon. La qualité du saule pourpre belge est encore de loin la meilleure, mais ça fait longtemps que tous les vanniers de la région ont disparu.”
Le jour où l’aspirateur a remplacé le balai.
Historiquement, la région de Zingem était la Mecque de la vannerie, du moins jusqu’aux années 1930. “Les ouvriers se sont révoltés contre le travail manuel pénible et se sont organisés en syndicats. Entre-temps, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont augmenté leurs taxes à l’importation, ce qui fait que le nombre de commandes a diminué. Les négociants en osier n’ont eu d’autre choix que d’exporter leurs meilleurs matériaux vers d’autres pays. Il ne restait plus ici que des brindilles de mauvaise qualité“. Après la Seconde Guerre mondiale, le monde entier n’en avait plus que pour les tons pastel et le fameux progrès. Video killed the radio star, et voilà que l’arrivée du plastique marque la fin de l’industrie de la vannerie dans la région. “Les aspirateurs ont remplacé les balais et on s’est soudainement mis à fabriquer des batteurs de tapis en plastique.“
Une fois, on m’a demandé de faire une démonstration sur un marché, vêtue d’un vieux costume ridicule. J’étais là, coincée entre un stand de saucisses et un autre de wok à emporter.
Et puis il y a Gerda, un peu anachronique, qui écorce des rameaux de saule dans son jardin et qui, à elle seule, rivalise avec toute l’industrie de la vannerie d’Indonésie et d’ailleurs. “En Belgique, la vannerie est devenue une sorte de musée vivant », dit-elle en riant.“ Une fois, on m’a demandé de faire une démonstration sur un marché, vêtue d’un vieux costume ridicule. J’étais là, coincée entre un stand de saucisses et un autre de wok à emporter. J’ai enlevé mon tablier, je suis entrée dans un café et j’ai dit: “Donnez-moi la bière la plus forte que vous avez”. Plus tard, on m’a encore demandé de m’installer sur ce même marché. Cette fois, ils me voulaient pour deux jours, mais pour le prix d’un seul“, raconte Gerda, l’air renfrogné. “Est-ce que j’ai l’air de tenir un supermarché discount?“
Bien au contraire. Gerda aimerait se débarrasser de l’image ringarde et poussiéreuse qui entoure la vannerie. “J’ai envie d’élever le tressage à un niveau supérieur et de créer quelque chose de nouveau à partir d’un artisanat ancien. Je veux aller de l’avant, chercher constamment de nouvelles techniques“. C’est ainsi qu’elle fabrique également des bijoux en fine paille dorée, qu’elle plie des annuaires téléphoniques usagés pour en faire des paniers et qu’elle prévoit d’aller enrichir son arsenal de techniques au Danemark.
De la beauté de l’imperfection.
Il y a beaucoup de choses dans l’atelier de Gerda, mais vous n’y trouverez jamais deux fois le même objet. Si c’est en partie dû à se recherche constante d’innovation, c’est surtout parce que le résultat final dépend avant tout du matériau. “Je n’utilise pas de moule. Sans oublier qu’il n’existe pas deux pousses de saule identiques“. Elles diffèrent par leur forme et leur épaisseur, et même par leur teinte. “Une fois récoltés sur le terrain, les rameaux sont noués en fagots pour le séchage. C’est pourquoi l’intérieur du fagot est un peu plus foncé que l’extérieur, qui blanchit à cause de l’exposition au soleil. Vous aurez beau essayer de tresser et de trier vos pousses en fonction de leur couleur et de leur longueur, l’imperfection fera partie du produit“.
Mais l’imperfection pourrait bien être ce qui confère sa beauté à cet art. “Ça fait partie de l’ensemble du processus. Ces pousses prennent leur temps pour grandir. C’est la même chose pour la bière 3 Fonteinen: elle a besoin de temps pour développer son goût et arriver à maturité“. La fabrication d’un panier prend à Gerda deux ou trois heures, mais c’est sans compter les préparatifs. “En novembre, les rameaux de saule sont récoltés et triés en fonction de leur taille. Ensuite, on le met à sécher pendant un an. Au cours de sa vie, le saule absorbe beaucoup d’eau et va se dilater. Cette eau va s’évaporer pendant le séchage et les rameaux vont rétrécir de moitié. Si j’utilisais des branches fraîches pour tresser, le panier se dessècherait et tomberait en morceaux au bout de six mois“.
Vous aurez beau essayer de tresser et de trier les rameaux par couleur et par longueur, l’imperfection fera toujours partie du produit.
Pour fabriquer un panier pour une bouteille de gueuze, Gerda n’a besoin que d’un paquet de rameaux, d’un peu de matériel et d’un magnum de 3 Fonteinen. Pas pour le boire, mais bien pour que la bouteille pèse de tout son poids sur le fond du panier afin de le maintenir en place. D’abord, elle trie ses tiges. ”Les plus épaisses pour les rayons, les plus fines pour les tisserands. Ces dernières sont baignées dans l’eau pendant deux semaines avant que je ne commence à tisser. Le cœur des rameaux doit être suffisamment souple, c’est pourquoi il faut les mouiller à nouveau après cette année de séchage.”
Les paniers que Gerda tresse pour Brouwerij 3 Fonteinen sont blancs et verts. Pourtant, elle n’utilise qu’une seule sorte de pousses: les vertes. “On obtient la couleur blanche lorsqu’on épluche les rameaux de saule“. Dans son jardin, Gerda a installé une peleuse: deux tiges métalliques serrées l’une contre l’autre. Elle fait passer chaque pousse dans l’appareil qui va gratter l’écorce, laissant la tige nue et blanche. “Il existe aujourd’hui des moyens semi-automatiques, mais autrefois, c’était une corvée qu’on réservait aux enfants. Ils devaient écorcer un fagot entier avant d’aller à l’école“. Elle écorce branche après branche avec un “zinggg“ carillonnant qui résonne dès que les deux tiges de la peleuse se referment.
Une fois le fagot dépouillé de sa jeune écorce, Gerda déplace son matériel sur la table de travail. En quelques gestes, elle tresse le fond du panier, dans lequel elle insère des rayons en les enfonçant à l’aide d’une alène. La corbeille ressemble alors à un soleil aux rayons tentaculaires, qu’elle maintient habilement en place. “Ils vont former les côtés du panier et servent au tressage vertical“, explique Gerda. Lorsqu’elle a fini de tresser vers le haut, elle termine par une ligne diagonale, ajoute une bordure et deux anses joliment arquées.
Avec des roseaux tu ne tresseras point.
Gerda est formelle: on ne tresse pas avec des roseaux. “On peut tresser avec une infinité de matériaux, mais pas avec des roseaux. C’est une plante aquatique dont la structure est très rigide et qui ne se plie pas bien.“ Et tous ces paniers alors? “Ils ne sont pas faits de roseaux, mais de moelle de roseau. Dans les années 1960, ce matériau était très utilisé pour le tressage. Un nom qui prête à confusion et qui vient de l’anglais “pith reed”, qui fait référence au cœur de la plante.“ Gerda en a eu assez de devoir expliquer la différence à des gens qui confondaient le jargon. “J’ai fini par donner une conférence à ce sujet“, nous dit-elle.
Cette conférence sur le roseau, le prétendu roseau, l’osier et le saule est le résultat d’un peu de frustration, de beaucoup d’amour et d’une réalité financière. “La fabrication de panier ne me permet pas de vivre“, dit Gerda. C’est pourquoi elle dédie environ 80% de son temps à l’enseignement. “Cette envie d’enseigner fait partie de moi. C’est une vocation, si vous voulez“.
Je n’avais pas de collègues à qui demander conseil, alors j’ai cherché sur Internet. J’ai regardé plein de vidéos, puis j’ai dû m’y essayer à dix reprises pour réussir à fabriquer une seule chaise..
Aujourd’hui, en plus de ses cours et conférences, Gerda enseigne également aux personnes en situation de handicap. “Je retire beaucoup de satisfaction des ateliers que j’anime pour la Ligue Braille. Les personnes aveugles écoutent mieux. En tant que voyants, on commence déjà à tresser alors que le professeur est encore en train de donner ses explications. Eux pas. Ils attendent, ils écoutent et c’est seulement ensuite qu’ils se mettent au travail.“
Gerda a elle-même appris les ficelles du métier principalement sur YouTube. “Je n’avais pas de collègues à qui demander conseil, explique-t-elle, alors j’ai cherché sur Internet. J’ai regardé plein de vidéos, puis j’ai dû m’y essayer à dix reprises pour réussir à fabriquer une seule chaise. Il existe quelques livres sur le sujet et je les ai lus. J’ai suivi des cours auprès d’un Allemand et d’un Suédois. Mais il y a très peu de matériel pour se former“. Pas de quoi mettre de bâtons dans les roues de Gerda pour autant. “Je suis une tresseuse“, dit-elle. Et en tant que tresseuse, elle tresse.