Aujourd’hui, moins de 3 % des grains utilisés par les brasseurs belges sont d’origine belge. Et ce, alors que la Belgique est le deuxième pays malteur au monde ! La disparition de notre orge brassicole est due au mouvement d’industrialisation et de consolidation mondiale, ainsi qu’à l’anonymisation générale de l’ensemble de notre système agricole et alimentaire.
Le Réseau Céréales a pour objectif de restaurer le lien de proximité entre l’agriculteur et le brasseur, entre le grain et la gueuze, entre la terre et ses habitants. Parce qu’un terroir, c’est bien plus qu’un panier de produits régionaux. Un terroir, c’est à la fois une histoire, une communauté, une culture et une économie.
Pourquoi ce projet? En bref: pour un retour définitif à notre terroir. C’est-à-dire à une saveur qui nous est propre, mais aussi à une authenticité dont les agriculteurs sont le moteur. Ce n’est pas facile, mais pas impossible non plus.
Il y a environ un siècle, l’agriculteur, le malteur, le brasseur, le meunier et le boulanger vivaient tous dans le même village. Facile. Cela assurait la confiance et la compréhension mutuelle. Tout le monde savait à qui il avait affaire, tous mangeaient le même pain et buvaient la même bière. Mais après la Seconde Guerre mondiale, l’agriculture s’est massivement industrialisée. Notre système agricole et alimentaire s’en est retrouvé anonymisé.
Vicieux, le cercle céréalier.
Au départ, c’est bien avec les meilleures intentions que furent introduites l’industrialisation et une mise à l’échelle sans précédent de la production. Le slogan d’après-guerre, “Plus jamais faim!“, était d’ailleurs un mantra honorable. Mais une fois cette lutte contre la faim gagnée, elle s’est vite transformée en lutte pour le rendement maximal et l’exportation sans limites. Résultat : la chaîne alimentaire s’est effilochée pour mieux s’effondrer.
L’agriculteur s’est retrouvé pris dans une tenaille économique entre des prix d’achat toujours plus élevés et des prix de vente toujours plus bas. Actuellement, le contrôle et le pouvoir sont entre les mains de quelques géants du secteur: d’un côté les fournisseurs de semences, de pesticides et d’engrais, et de l’autre, la distribution en gros en tant qu’acheteurs.
Cela crée une pression énorme sur l’ensemble du système, en particulier sur les agriculteurs qui se retrouvent piégés dans un cercle vicieux:
- la pression des prix dans la distribution en gros et les supermarchés appauvrit la qualité de nos aliments et boissons transformés. Toujours plus rapide, toujours moins cher.
- cela accroît la pression des prix sur l’agriculture. L’agriculteur n’est plus un décideur de prix depuis bien longtemps: c’est un preneur de prix qui accepte simplement ce que lui dicte le marché. Et pourtant, c’est bien à lui qu’incombent tous les risques opérationnels et financiers.
- sous cette pression, l’agriculteur va essayer de récolter autant de tonnes que possible par hectare. Alors que la norme était auparavant de 3 à 4 tonnes de céréales par hectare, elle est aujourd’hui passée à 8 à 10 tonnes par hectare, ce qui est énorme.
- l’agriculteur devient ainsi dépendant des fournisseurs qui lui vendent les semences les plus performantes, ainsi que des pesticides et des engrais pour maximiser les rendements.
- ces pratiques agricoles dégradent les sols en les compactant et en les érodant. Le sol ne retient plus suffisamment l’eau et la biodiversité du paysage agricole décline.
- la seule possibilité de survie est alors la consolidation (les petites fermes sont absorbées par les grosses) et une intensification encore plus grande sur le terrain. Ce qui conduit à un appauvrissement de l’offre.
C’est ainsi que de nombreuses variétés anciennes de fruits, de légumes et de céréales ont été complètement perdues dans l’industrialisation. Elles ne pouvaient tout simplement plus être compétitives dans cette course effrénée au rendement maximal.
Le pain et la bière que nous consommons nous arrivent tout droit de l’étranger.
L’exploitation systématique et systémique de l’agriculteur est perfide. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: le revenu moyen par hectare de céréales s’élève à environ 1.800 euros. Après déduction des frais, il reste 600 euros avec lesquels payer la main-d’œuvre, les prêts et tout le reste. Bref, presque plus rien. Nous en sommes arrivés au point où, en Europe, de nombreux agriculteurs tirent leur revenu familial de subventions plutôt que du produit de leur travail.
Cette dépendance à l’égard des subventions, la pression économique permanente et l’absence totale de perspectives d’avenir peuvent expliquer pourquoi tant d’agriculteurs abandonnent le métier. La triste réalité est telle que nulle part le taux de dépression et de suicide n’est aussi élevé que dans la communauté agricole.
Cela fait bien longtemps que nos agriculteurs ne sont plus compétitifs par rapport à d’autres régions en Europe — et c’est encore pire si l’on regarde en dehors du continent. Alors qu’un agriculteur belge moyen cultive 30 hectares, en Ukraine et dans d’autres pays d’Europe de l’Est, il exploite déjà facilement 100 à 1.000 hectares. Aux États-Unis, ce chiffre grimpe à 10.000 hectares. Et pourtant, le prix obtenu pour du grain belge est le même qu’ailleurs: celui imposé par le marché mondial.
Ce système a ses limites. Le réchauffement climatique et la sécheresse qui l’accompagne dans les champs, les monocultures et l’appauvrissement des sols, ainsi que la pression des prix ont ôté toute résilience à notre agriculture. La céréaliculture belge est aujourd’hui principalement axée sur l’alimentation du bétail et la production de bioéthanol et d’amidon. Pour notre propre consommation humaine, nous dépendons des importations. Absurde, non?
Tout cela peut changer, parce qu’il faut que ça change.
Nous devons revenir à la situation antérieure. Retourner aux valeurs d’antan, où la qualité, le durable et la logique avaient leur place. Concepts tellement classiques qu’ils en sont redevenus progressistes.
Il faut revenir à une collaboration locale entre l’agriculteur et son client, qu’il s’agisse d’un chef, d’un brasseur, d’un meunier ou d’un boulanger. Il faut revenir à la richesse de la diversité. Il faut revenir à la qualité. Moins mais mieux, moins mais meilleur. Et surtout, il faut redonner à l’agriculteur la reconnaissance qu’il mérite, afin qu’il puisse continuer à cultiver:
- avec enthousiasme, parce qu’il est heureux de pouvoir gagner sa vie décemment.
- avec passion, parce qu’il sait à quelle bière ou à quel pain est destiné le fruit de tout ce travail.
- avec une fierté retrouvée, parce que son métier est à nouveau valorisé.
Nous croyons en un Réseau Céréales solide incluant les agriculteurs, malteurs, meuniers, brasseurs et boulangers passionnés, mais aussi les consommateurs les plus avertis. C’est une vision de valeurs traditionnelles, de notre sol, de notre terroir. Car, après tout, un terroir est à la fois une histoire, une communauté, une culture et une économie.