Armand,
Cette lettre est pour toi.
Nous — Michael, Werner ainsi que toute l’équipe de 3 Fonteinen — tenons à te remercier, puisque c’est un réel privilège que de poursuivre ton si bel héritage.
Oui, il s’agit bien d’une anthologie. Pour toi, Armand Debelder. Sur ce que tu étais et ce que tu es encore. Sur ce que tu as fait, pour nous et avec nous, comment tu l’as fait, et sur la résonance de tous tes actes et décisions sur notre quotidien.
Merci pour ce que tu étais.
Armand, tu étais quelqu’un de bien. Authentique et sincère. Doux et avenant. Un conteur doué, charmant et charismatique. Le cœur toujours sur la main.
Ouvert et chaleureux, tu étais là pour tout un chacun, jeunes et moins jeunes, et tout le monde appréciait ta compagnie. Un véritable homme du peuple, comme on dit. Un animal social, quelqu’un qui aimait écouter et raconter des histoires, qui savait rire et pleurer de rire. Quelqu’un qui adorait partager ses expériences à qui voulait bien les entendre ; tes aventures de jeune canaille à Beersel et dans les environs, ta vie en tant que fils de Gaston et de Raymonde au café-restaurant, tes histoires sur Herman Teirlinck, sur l’assemblage à la cave et les coupeurs de l’époque, et sur ton rôle de brasseur pour 3 Fonteinen. Chacun de tes récits était plus croustillant que le précédent. Nous possédons tous au moins un souvenir ou une anecdote dont tu es le héros.
Nous nous souviendrons toujours de toi comme d’un penseur, d’un esprit parfois soucieux. À côté de ton sens de l’intuition, de tes pensées et idées désordonnées — il s’agissait là d’un chaos artistique — tu doutais beaucoup et avais besoin d’en discuter avec les gens que tu portais dans ton cœur. Mais à la fin de la journée, tu trouvais toujours une solution, claire, logique et simple. Ou, comme tu l’appelais toi-même : le fruit du bon sens. Cette façon tortueuse de réfléchir est d’ailleurs en contradiction avec la ligne de conduite, disons… ferme, que tu as imaginée et que nous suivons toujours pour 3 Fonteinen, le lambic et la gueuze en général.
Mais tu étais aussi un très bon vivant. Un plaisir amplement mérité, car tu as toujours été un travailleur assidu. Tes larges mains solides en sont probablement la meilleure image. Travailler dur d’abord, profiter de la vie ensuite, tel était ton crédo. C’est une formule à laquelle nous aimons nous accrocher, jour après jour.
Merci de nous avoir façonnés.
Tu étais comme un deuxième père pour beaucoup d’entre nous. Tu nous as accueillis de manière tellement chaleureuse et engageante que nous n’avions jamais peur de venir te poser nos questions et te faire part de nos inquiétudes, de nos histoires et de nos expériences.
Mais tu as également façonné notre manière de penser et d’agir. Non seulement concernant le brassage et l’assemblage, mais aussi dans notre façon de recevoir les gens, dans la longue réflexion qui précède nos décisions, dans la finesse de principe avec laquelle nous développons de nouveaux projets et dans l’obstination dont nous faisons preuve face à certains choix à long terme...
Amis, famille, visiteurs et amateurs de lambic, tous remarquent aussi l’influence que tu as exercée sur nous, et que tu continues à avoir. Rien ne peut nous faire plus plaisir que de nous l’entendre dire. Nous y voyons surtout la confirmation de ce que tu nous as appris.
Lorsque nous sommes nous-mêmes en proie au doute, la réponse à cette simple question nous conduit presque naturellement vers la solution: “Que ferait Armand?”
L’empreinte que tu as laissée sur 3 Fonteinen est indélébile.
Merci de continuer à nous inspirer.
Armand, tu as été, es et resteras une source d’inspiration pour beaucoup. Par le passé, aujourd’hui et demain encore. Tout ce qui se passe chez 3 Fonteinen, nous le mesurons à la manière dont tu as façonné cette même brasserie et gueuzerie. Tu as tracé les lignes avec une obstination héritée de ceux qui t’ont inspiré, comme ton père Gaston et l’illustre Herman Teirlinck.
Tu l’as un jour si bien résumé: “On peut être inspiré par certaines personnes, par ce qu’elles disent et font. Mais ce que vous faites de cette inspiration, la forme que vous voulez lui donner, ça dépend de vous. Ne rien en faire, c’est aussi un choix.”
Ces mots sont inscrits dans nos têtes. Et toute la philosophie derrière nos collaborations et décisions s’en inspire
Un bon exemple est ce fameux dicton que tu as toi-même hérité de ton troisième grand-père, Herman Teirlinck... “ ‘Oui, mais’ n’est pas une réponse.” Si nous ne sommes pas d’accord, on reste à table jusqu’à trouver une solution ; la ligne doit être tracée clairement, rien ne doit rester dans le vague. Peu importe le temps que ça prendra, nous resterons assis.
Merci de continuer à croire en la tradition du lambic et de la gueuze.
Il n’a pas été facile, à une époque où l’intérêt pour le lambic et la gueuze était au plus bas, de résister en tant qu’assembleur. Et puis, un peu plus tard, de se lancer dans le brassage. À contre-courant et contre toute attente, soutenu seulement par certains de tes amis les plus proches et avec toutes les difficultés que ces choix impliquaient. Et pourtant, tu as continué, armé de la passion et de la persévérance qui t’étaient propres.
Tu restes à nos yeux le plus grand instigateur des valeurs traditionnelles et authentiques du lambic et de la gueuze. Tu as d’ailleurs inspiré et contaminé de nombreuses autres personnes ; il suffit de penser aux fans de 3 Fonteinen, aux amateurs de lambic et de bière, mais aussi à cette toute nouvelle génération de brasseurs, de sommeliers et de restaurateurs. Chacun possède une anecdote sur ou avec toi, a été inspiré par tes paroles ou par ce que 3 Fonteinen représente: l’artisanat, la passion et l’entêtement absolu avec lesquels nous traitons le lambic.
Merci d’avoir offert un avenir à 3 Fonteinen.
Il va sans dire que si 3 Fonteinen existe encore aujourd’hui, c’est grâce à toi.
La grande ouverture d’esprit avec laquelle tu as accueilli la génération suivante et ainsi assuré la succession de la Brouwerij 3 Fonteinen reste exemplaire. Lorsque tu as engagé Michaël comme bras droit en 2010, tu as rapidement vu en lui une version plus jeune de toi-même : motivé, passionné et porté par un amour prononcé pour l’artisanat qui se cache derrière nos bières lambics.
Nous gardons le souvenir d’une belle matinée, vers la fin de l’année 2013. Alors que nous étions en train de plancher sur l’avenir (le dimanche était un moment propice, car un peu plus calme), tu es passé par là. Si cette visite semblait tenir de la coïncidence, peut-être n’était-ce pas un hasard. Juste avant de refermer la porte derrière toi, tu t’es retourné sur ces mots: “J’aime beaucoup ce que je vois là.” Nous repensons souvent à ce moment, qui nous donne des frissons. Il restera à jamais gravé dans nos mémoires.
Tu as été un mentor parfait : doux mais strict quand nécessaire, faisant preuve d’un immense respect et soutien envers celles et ceux avec qui tu travaillais. Tu as toujours eu confiance en ces personnes et en l’avenir. C’est pourquoi tu continues à être à ce point apprécié. L’esprit de 3 Fonteinen, ses valeurs et son caractère, son arôme et son goût: tout ce qui t’était si cher n’aurait pu être transmis à la génération suivante d’une meilleure façon.
Et bien que nous ne soyons pas de la même famille, tu seras toujours notre pater familias. Le père de toute une équipe. N’est-ce d’ailleurs pas ce qui se rapproche le plus d’une famille ? Et quel bonheur que certains enfants de brasseurs aient été baptisés de ta main — dans le respect du lambic — et qu’ils puissent continuer à t’appeler Opa Geuze.
3 Fonteinen est et sera toujours une entreprise familiale. Issue de plusieurs familles, certes, mais des familles unies par les mêmes valeurs. Et si autrefois tu travaillais souvent seul, 3 Fonteinen est aujourd’hui devenu un mouvement d’individus plus passionnés les uns que les autres. Pouvoir poursuivre ton projet est à nos yeux un immense privilège. Pense à notre Réseau Céréales, aux griottes de Schaerbeek, à notre collaboration avec les arboriculteurs, à la liberté que nous nous donnons d’essayer de nouvelles choses, etc.
Armand, c’est pour tout ça que tu appartiendras toujours à 3 Fonteinen et que 3 Fonteinen t’appartiendra toujours.
Et comme tu mettais un point d’honneur à terminer tes histoires et tes écrits, nous terminons aussi notre lettre...
Merci à toi. Merci. Merci.