Si le lambic et la gueuze ont contribué à façonner l’identité de notre région, c’est parce qu’elle comptait autrefois plus de 90 brasseurs de lambic et 250 assembleurs de gueuze. Les céréales traditionnelles du vieux Brabant faisaient partie intégrante de cet artisanat. Or de nos jours, ces variétés de pays ont tout simplement disparu des champs, complètement anéanties par l’agriculture industrielle qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. Nous avons décidé de nous associer à une dizaine d’agriculteurs afin de faire revivre ce patrimoine.
Été 2017. C’est sur un coup de tête qu’Armand Debelder pousse un juron et tape du poing sur la table. “Il faut que nous puissions à nouveau trouver nos céréales brassicoles chez nous! Le Petit Roux de Brabant, c’est le blé qu’il nous faut!“. Portée par la vision obstinée de Gaston et Armand Debelder, la Brouwerij 3 Fonteinen s’est donc mise à la recherche de blé et d’orge locaux dès 2018, une quête qui nous a naturellement mené à la porte de Tijs Boelens. Tijs s’intéressait depuis longtemps aux variétés et populations locales qu’il cultivait dans ses champs de Pepingen. L’agriculteur était aussi en contact avec Lucas Van den Abeele, encore étudiant en agroécologie à l’époque, mais déjà soucieux de développer un collectif d’agriculteurs dans la région du Pajottenland. Aujourd’hui, Lucas travaille à plein temps à la Brouwerij 3 Fonteinen et coordonne l’ensemble du Réseau Céréales.
Le Réseau Céréales en bref.
Au total, les agriculteurs cultivent environ 40 hectares de blé et d’orge à un prix rémunérateur, établi d’un commun accord. De notre côté, nous nous chargeons d’organiser le nettoyage, le stockage et le maltage des grains.
Mais ça ne s’arrête pas là. Le Réseau Céréales va bien au-delà du simple schéma ‘culture et vente’. Ensemble:
- nous menons des recherches et une sélection approfondie sur 25 variétés d’orges anciennes et 50 variétés de blés de pays, toutes originaires de notre région et spécifiquement destinées au brassage des bières lambics.
- nous travaillons à la fois au champ et à la brasserie, afin de coordonner les techniques et enseignements du terrain avec la dynamique à l’œuvre dans la cuve de brassage (et vice versa).
- nous apprenons les uns des autres. Les agriculteurs se rendent mutuellement visite dans les champs et se prêtent des machines adaptées pour le désherbage ou la récolte, les brasseurs rendent visite aux agriculteurs, les agriculteurs dégustent les bières, etc. C’est la collaboration qui fait notre force.
- nous décidons entre nous quel agriculteur cultivera quelle variété sur quel terrain.
- nous recherchons une coopération stable et à long terme, avec une répartition équilibrée des risques. Nous payons à l’hectare au moment de l’ensemencement et à la tonne au moment de la récolte. En cas de mauvaise année, l’agriculteur se voit garantir un revenu.
- nous sommes animés par la même vision durable, une appréciation mutuelle du métier de chacun et un souci absolu de qualité.
- nous rompons avec le modèle de monoculture et élargissons la biodiversité cultivée, ce qui se traduit par une cadence adaptée à la nature, bénéfique pour les sols, le lambic et fatalement, le goût.
- nous sommes déjà en train d’étudier comment utiliser l’agroforesterie afin d’équilibrer le paysage agricole avec, entre autres, les griottes de Schaerbeek et d’anciennes variétés de cresson, de prunes et de rhubarbe.
L’objectif final est de trouver une sélection de variétés de céréales adaptées:
- Au climat du Brabant et à ses sols limoneux.
- Aux méthodes de culture agroécologiques et biologiques qui respectent les sols, la biodiversité, les techniques de culture et l’artisanat de l’agriculteur.
- Aux besoins spécifiques des clients — pensez aux malteries et aux brasseries, aux meuniers et aux boulangers.
Nous sommes d’avis qu’un agriculteur doit pouvoir vivre de son métier. Les agriculteurs du Réseau Céréales obtiennent donc un prix qui leur assure un avenir. Il s’agit d’une toute autre façon de penser l’économie agricole: partir de la qualité à un prix équitable au lieu de chercher à obtenir le coût le plus bas possible. Le Réseau Céréales espère ainsi inspirer encore plus d’agriculteurs, de brasseurs et de boulangers à faire de ce modèle la nouvelle norme.
La Brouwerij 3 Fonteinen paie désormais plus du triple des prix actuels de l’industrie pour le blé et l’orge qu’elle utilise, et ce directement aux agriculteurs. La brasserie a également investi dans un trieur de céréales et des silos à grains.
À terme, l’agriculture brabançonne doit redevenir forte et résiliente. La recherche de nouvelles variétés adaptées rend également les récoltes plus résistantes aux effets du réchauffement climatique. Et non, il n’est jamais facile de rivaliser avec les grands acteurs commerciaux, mais un prix juste et rémunérateur peut faire beaucoup. Les consommateurs commencent d’ailleurs à s’en rendre compte. Le Réseau Céréales continue de soutenir activement l’échange de connaissances afin d’obtenir l’adhésion du plus grand nombre possible d’agriculteurs, de brasseurs et d’acteurs concernés.
La première bière.
Les saisons passent, le grain pousse, la lambic mûrit.
À l’heure où l’on vous parle, les premiers brassins de lambic locaux — certifiés bio depuis février 2021 — continuent de vieillir tranquillement dans leurs fûts. Nous pourrons alors assembler la première véritable gueuze patrimoniale vers 2024. Eh oui, toute bonne bière vient à point qui sait attendre.
Entre-temps, nous avons déjà sorti une bière plus rapide avec l’aide de brasseries amies, mais toujours fabriquée avec les mêmes céréales. Cette série de bières porte le doux nom de ‘Terf’, qui signifie blé en dialecte brabançon. Ces bières ont été brassées par nos collègues de la Brasserie de la Senne et de la Brasserie De La Mule.